Dossier : Cancer, comment mieux concilier salariat et maladie

Cancer : comment mieux concilier salariat et maladie

Chaque année, environ 350 000 cancers sont diagnostiqués en France. Parmi les femmes et les hommes touchées par ce fléau redoutable on retrouve de nombreuses personnes exerçant encore une activité professionnelle. Selon l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (Anact), 15 % de la population active sont atteints par une Maladie Chronique Évolutive (MCE). Malgré les progrès de la médecine qui permettent de sauver toujours plus de malades et un regard sur la maladie qui tend à évoluer vers plus de bienveillance, la situation des salariés atteints d’un cancer est loin d’être simple. Un chiffre symbolise à lui seule cette double peine : une personne sur trois perd ou quitte son emploi dans les deux ans après l’annonce de son cancer(1)… Pourtant des solutions existent pour permettre aux malades de concilier parcours de soins et parcours professionnels : des entreprises se structurent pour accompagner au mieux leurs collaborateurs pendant et après cette épreuve, des associations se mobilisent, des voix de salariés se font entendre pour briser les tabous et partager leurs expériences avec leurs pairs.

Cancer et travail : ce que la loi prévoit

Pour accompagner employés et employeurs face au cancer, il existe des dispositifs de droit commun qu’il est bon de connaître. Le diagnostic d’un cancer ouvre le droit à percevoir des indemnités journalières pour une durée maximale de 3 ans, sous certaines conditions (pouvoir justifier de 12 mois d’immatriculation en tant qu’assuré social à la date de l’arrêt de travail, avoir travaillé au moins 800 heures au cours des 12 mois précédant l’arrêt de travail, dont 200 au moins pendant les 3 premiers mois, et avoir cotisé sur un salaire au moins égal à 2030 fois le montant du SMIC horaire au cours des 12 mois précédant l’arrêt de travail).

Durant 6 mois, les arrêts de travail successifs, qu’ils soient continus ou discontinus, donnent droit au versement d’indemnités journalières. Au-delà, le salarié entre dans le cadre de ce que l’on appelle une Affection de Longue Durée (ALD). Il peut alors continuer à percevoir des versement d’indemnités journalières jusqu’à 36 mois.

L’indemnité journalière de la Sécurité Sociale est égale à 50% du salaire journalier de base, (puis 66,66% si le salarié a 3 enfants à charge minimum). Le salarié touché par un cancer peut également prétendre à bénéficier d’indemnités complémentaires versées par son employeur, là encore sous certaines conditions : ne pas être travailleur à domicile, ni salarié saisonnier, intermittent ou temporaire, justifier d’au moins une année d’ancienneté dans l’entreprise, avoir transmis à l’employeur son certificat médical dans les 48 heures, bénéficier des indemnités journalières de la Sécurité sociale.

Les personnes exerçant des professions libérales quant à elles, affiliées au RSI, peuvent bénéficier jusqu’à 3 ans de versement des indemnités journalières à condition d’être à jour de leurs cotisations.

Par ailleurs, licencier un salarié parce qu’il est malade est interdit. En revanche, l’employeur peut refuser une reprise du travail à temps partiel ou ne pas pouvoir proposer de reclassement. Il peut engager une procédure de licenciement au(x) motif(s) d’une inaptitude au poste de travail, d’absences répétées ou d’une absence de longue durée nuisant à la marche réelle de l’entreprise. L’employeur devra naturellement prouver le(s) motif(s) invoqué(s). Comme nous le verrons plus avant, ce choix n’est pas forcément économiquement le plus judicieux pour l’entreprise.

Enfin, un arrêt de travail peut déboucher sur une reprise du travail ou la reconnaissance d'une invalidité, même partielle. Une pension peut être versée si la capacité de travail est réduite d'au moins 2/3 et sur conditions de cotisation. Si ces dernières ne sont pas remplies, il est possible de prétendre à l'Allocation Adulte Handicapé (AAH).

La question du maintien dans l’emploi

Selon Cancer@Work, un club d’entreprises créé en 2012 par Anne-Sophie Tuszynski et œuvrant pour une meilleure intégration de la maladie en organisations professionnelles, la survenue d’un cancer multiplie par trois la probabilité de perdre son emploi pour un salarié. En se séparant d’un salarié gravement malade, l’entreprise évite ainsi toute complication et se détourne d’une problématique qu’elle ne souhaite pas gérer. Or à y regarder de plus près, le bon calcul n’est à l’évidence pas là. Le salarié, son entreprise et l’Assurance maladie ont en effet des intérêts simultanés à ce que le premier conserve son poste. Une étude(2) menée par des économistes, sous la direction de Nicolas Bouzou, montre qu’« à partir du moment où l’employé atteint d’un cancer peut effectuer au moins un tiers-temps, et même dans l’hypothèse d’une baisse durable de sa productivité, il est plus rentable pour l’entreprise de le conserver à son poste plutôt que de le licencier et de former un nouvel employé ». Cette marque de bienveillance est l’occasion pour les entreprises d’assumer pleinement leur responsabilité sociétale, de réaffirmer leur engagement et leur solidarité auprès de l’ensemble de leurs salariés, qu’ils soient malades ou non.

La reprise : un moment décisif à anticiper conjointement

Bon nombre d’entreprises ne savent pas véritablement comment réintégrer leurs salariés atteints d’un cancer, souvent par méconnaissance, par peur de la maladie et de ses conséquences sur leur organisation. L’une des clés pour réussir cette transition est de l’anticiper et ce, le plus tôt possible. Et c’est par le prisme du travail et non celui de la maladie que la chose doit se faire. Comment ? En analysant des situations de travail concrètes afin de comprendre comment un salarié atteint d’un cancer est empêché de réaliser ses missions. Pour cela, il est préférable de privilégier une approche empirique et individualisée au maximum, intégrant les capacités du salarié à date, son environnement de travail, les nouveaux objectifs qui lui seront assignés.

Avant même la visite médicale de reprise prévue par la loi en cas d’arrêt de travail de plus de 30 jours (elle a généralement lieu dans les jours qui suivent la reprise effective), une visite de pré reprise peut être organisée avec la médecine du travail à l’initiative du salarié, gratuitement. Ce rendez-vous a pour objectif d’aider le salarié à préparer son retour et de définir, au cas par cas, ce qui le facilitera : adaptation du poste de travail, aménagement du temps de travail (temps partiel pour motif thérapeutique par exemple), reconversion professionnelle et formation si cela s’avère nécessaire.

Il est également possible de solliciter un assistant de service social de la CPAM. Avec l’accord du salarié, il pourra mettre en œuvre une intervention afin d’évaluer la situation et de l’aider à construire un projet professionnel adapté à son état de santé et à ses capacités.

Réussir le retour du salarié est avant tout le fruit d’un travail collectif associant toutes les parties prenantes impliquées autour de lui : médecin traitant, oncologue, médecin du travail, représentants de l’entreprise, collègues). Rappelons pour finir qu’inclure le sujet de la maladie grave dans l’entreprise, par l’information et la prévention, est un bon moyen de cultiver la cohésion et la solidarité en son sein, mais aussi l’image d’un employeur « humain ».

 

  • Le maintien des liens avec l’environnement de travail pendant l’arrêt
  • Un temps de convalescence approprié pour se reconstruire avant la reprise
  • La visite de pré reprise pour anticiper les choses
  • Le temps partiel thérapeutique pour une reprise progressive
  • Les aménagements liés à l’environnement de travail
  • Les formations et le bilan de compétence
  • Un accompagnement adapté au moment de la reprise et dans les mois suivants
  • La Reconnaissance de la Qualité de Travailleur Handicapé (RQTH)

Sans oublier un dialogue continu entre salarié et employeur.

(1) Enquête VICAN2, 2012 (La vie deux ans après le diagnostic de cancer), publiée dans le rapport 2013 de l’Observatoire sociétal des cancers.

(2) Rapport « Travailler avec un cancer » de l’association Cancer@Work.